Dans cette partie nous ne considérons que des polynômes non-nuls.
Nombre de racines
Puisqu'à chaque fois que $a$ est une racine de multiplicité $m$ d'un polynôme, on peut diviser celui-ci par $(x-a)^m$, il en découle que le nombre de racines (comptées avec leur multiplicité) d'un polynôme de degré $n$ est toujours inférieur ou égal à $n$.
Exemple :
- Le polynôme $P(x) = x^3-4x^2+5x-2$ de $\mathbb{R}[x]$ a trois racines (comptées avec leur multiplicité) : la racine double $1$ et la racine simple $2$; et ce parce que $P(x) = (x-1)^2(x-2)$.
- Le polynôme $Q(x) = x^3 + x$ de $\mathbb{R}[x]$ a quant à lui une seule racine (et elle est simple) : $x = 0$. En effet, $Q(x) = x(x^2+1)$ et le polynôme $x^2+1$ n'a pas de racines réelles.
On a donc un maximum de $n$ racines pour un polynôme de degré $n$, et il arrive qu'il y en ait moins. Remarquons tout de même que, dans le deuxième exemple, si on avait considéré le polynôme comme étant dans $\mathbb{C}[x]$, alors il aurait eu $3$ racines puisque $Q(x) = x(x+i)(x-i)$. Le théorème fondamental de l'algèbre nous apprend en fait que dans $\mathbb{C}[x]$, tous les polynômes ont un nombre de racines
exactement égal à leur degré.
Théorème fondamental de l'algèbre
Soit $P \in \mathbb{C}[x]$ un polynôme de degré $n \in \mathbb{N}$. Alors $P$ possède exactement $n$ racines comptées avec leur multiplicité. Autrement dit, il existe des nombres $r_1, r_2, \ldots, r_n \in \mathbb{C}$ tels que
$$P(x) = c_n(x-r_1)(x-r_2)\ldots(x-r_n),$$ où $c_n$ est le coefficient dominant de $P$.
Si on ne considère pas $P \in \mathbb{C}[x]$ mais plutôt $P \in \mathbb{R}[x]$ ou $P \in \mathbb{Z}[x]$, alors le théorème fondamental peut tout de même être utile ! En effet, on a $\mathbb{Z} \subset \mathbb{R} \subset \mathbb{C}$ donc un polynôme à coefficients réels (ou entiers) peut très bien être pensé comme un polynôme à coefficients complexes. On peut donc aussi l'écrire comme produit de $(x-r_i)$, mais il faut bien se rappeler qu'il est fort probable que certaines des racines $r_i$ soient complexes.
Remarque :
On peut faire le lien entre la forme usuelle des polynômes et cette nouvelle forme. On a en effet
$$c_n x^n + c_{n-1}x^{n-1} + \ldots + c_1 x + c_0 = c_n(x-r_1)(x-r_2)\ldots(x-r_n).$$ Si nous effectuons le produit du membre de droite, alors en regardant les coefficients de $x^{n-1}$ ainsi que les termes indépendants, on voit que
$$c_{n-1} = c_n \cdot (-r_1-r_2-\ldots-r_n) \quad \text{et} \quad c_0 = (-1)^n \cdot c_n \cdot r_1r_2 \ldots r_n.$$ Cela signifie que, lorsqu'on a un polynôme sous sa forme usuelle, on peut directement connaître la somme et le produit des $n$ racines puisque
$$r_1+r_2+\ldots+r_n = -\frac{c_{n-1}}{c_n} \quad \text{et} \quad r_1r_2\ldots r_n = (-1)^n\cdot \frac{c_0}{c_n}.$$ En regardant les autres coefficients comme $c_{n-2}$, on peut trouver d'autres formules un peu plus compliquées reliant les racines aux coefficients usuels : celles-ci peuvent également se révéler utiles, elles s'appellent
formules de Viète et nous en reparlerons dans un futur chapitre.
Polynômes à coefficients réels
Comme nous venons de l'expliquer, le théorème fondamental de l'algèbre est également utile même lorsque $P$ est à coefficients réels. Il est alors assez naturel de distinguer les racines réelles de $P$ des racines complexes. En fait, lorsqu'on dessine le graphe d'un polynôme à coefficients réels, on peut facilement observer où se situent les racines réelles, mais les racines complexes ne sont par contre pas détectables.
Par exemple, le graphe du polynôme $P(x) = 2x^5 -8x+2$ est le suivant.
On observe que ce polynôme possède trois racines réelles puisque le graphe traverse trois fois l'axe des abscisses. (Aucune des racines réelles n'est multiple : une racine multiple se repère au fait que le graphe est alors tangent à l'axe des abscisses en le point concerné.) Comme le polynôme est de degré $5$, on sait par le théorème fondamental qu'il a aussi deux racines complexes.
A priori, on ne sait rien de ces racines complexes, mais il existe en fait un résultat intéressant : les racines complexes vont deux par deux en ce sens que si $z$ est une racine de $P$, alors son conjugué $\bar z$ également. Il est important que le polynôme soit à coefficient réels (et non complexes) pour que ce résultat soit vérifié.
Lemme
Soit $P \in \mathbb{R}[x]$ un polynôme. Si $z \in \mathbb{C}$ est une racine de $P$ de multiplicité $m$, alors $\bar z$ est aussi une racine de $P$ de multiplicité $m$.
Démonstration
Notons $P(x) = c_n x^n + c_{n-1} x^{n-1} + \ldots + c_1 x + c_0$, où les coefficients $c_i$ sont réels. Le fait que $P(z) = 0$ signifie que
$$c_n z^n + c_{n-1} z^{n-1} + \ldots + c_1 z + c_0 = 0.$$ On peut alors simplement prendre le conjugué des deux membres pour obtenir (rappelons que le conjugué d'un produit est égal au produit des conjugués, et de même pour la somme) :
$$\bar c_n \bar z^n + \bar c_{n-1} \bar z^{n-1} + \ldots + \bar c_1 \bar z + \bar c_0 = 0$$ Or, les coefficients étant réels, on a $\bar c_i = c_i$ pour tout $i$, et donc
$$c_n \bar z^n + c_{n-1} \bar z^{n-1} + \ldots + c_1 \bar z + c_0 = 0,$$ ce qui est exactement $P(\bar z) = 0$. Si maintenant $z$ est une racine double, on a $P'(z) = 0$ et par le même raisonnement on trouve $P'(\bar z) = 0$. On en déduit ainsi que la multiplicité de $z$ est la même que celle de $\bar z$.
Ce résultat peut paraître anodin, mais est en fait très utile. En effet, cela signifie que dans la décomposition de $P(x)$ en produit de $(x-r_i)$, chaque $r_i$ est soit réel, soit complexe auquel cas on a aussi $(x-\bar r_i)$. Vu que les multiplicités de deux racines conjuguées sont identiques, le terme $(x-r_i)$ apparaît le même nombre de fois que $(x-\bar r_i)$, ce qui signifie qu'on peut les rassembler deux par deux. Cela est intéressant car on a
$$(x-r_i)(x-\bar r_i) = x^2 - (r_i + \bar r_i) x + r_i \bar r_i = x^2 - 2\cdot\mathfrak{Re}(r_i) x + |r_i|^2,$$ et ce polynôme a des coefficients réels puisque la partie réelle et le module d'un complexe sont des nombres réels. On a donc démontré le résultat suivant :
Théorème fondamental de l'algèbre pour les polynômes à coefficients réels
Soit $P \in \mathbb{R}[x]$ un polynôme de degré $n$. Il existe $k$ nombres réels $r_1, \ldots, r_k$ et $l$ polynômes $Q_1, \ldots, Q_l \in \mathbb{R}[x]$ unitaires irréductibles du second degré avec $k+2l = n$ tels que
$$P(x) = c_n(x-r_1)\ldots (x-r_k)Q_1(x)\ldots Q_l(x),$$ où $c_n$ est le coefficient dominant de $P$.
Par polynôme irréductible, il faut ici simplement comprendre que les polynômes $Q_i$ n'ont pas de racines réelles (on ne peut donc pas les réduire en un produit de $(x-r_i)$ avec $r_i \in \mathbb{R}$). Autrement dit, chaque polynôme $Q_i$ a un discriminant strictement négatif.
Remarque : Une conséquence directe de ce résultat est que le nombre de racines réelles (comptées avec leur multiplicité) d'un polynôme de degré $n$ est de la même parité que $n$. En particulier, un polynôme de degré impair possède toujours au moins une racine réelle. Cela peut également être compris en examinant le graphe d'un tel polynôme, puisque celui-ci arrive de la gauche par le bas et repart vers la droite par le haut (ou le contraire si le coefficient dominant est négatif). Le graphe coupe donc l'axe réel un nombre impair de fois.
Lorsqu'on est en présence d'un polynôme dans un problème d'algèbre, il peut être bon d'écrire celui-ci sous cette forme (avec les $r_i$ et $Q_i$ inconnus). L'avantage de celle-ci sur celle avec uniquement les $n$ racines est qu'elle ne fait pas intervenir de nombres complexes. On peut donc par exemple mieux maîtriser le signe de $P$ en fonction des $r_i$ et $Q_i$, ce qui n'est pas possible quand on travaille avec des nombres complexes.