Étant données deux fonctions arithmétiques, il est possible d'en construire une nouvelle ayant d'intéressantes propriétés : il s'agit de la convolution (de Dirichlet) des deux fonctions.
Définition et premières propriétés
Cette définition peut se reformuler comme suit : pour tout $n\in\mathbb{N}_0$, on a
$$(f*g)(n) = \sum_{ab=n} f(a)\cdot g(b) \qquad(3)$$ où la somme $\sum_{ab=n}$ est prise sur les couples $(a,b)\in\mathbb{N}^2$ vérifiant $ab=n$.
Nous allons voir que l'opération $*$ possède de bonnes propriétés. Quand $E$ est un ensemble, on dit qu'une opération $\star \,\colon E \times E \to E$ est
commutative si $a \star b = b \star a$ pour tous $a,b \in E$. On dit qu'elle est
associative si $a \star (b \star c) = (a \star b) \star c$ pour tous $a,b,c \in E$. On dit finalement qu'un élément particulier $e \in E$ est
neutre pour l'opération $\star$ si $e \star a = a = a \star e$ pour tout $a \in E$. À noter que le neutre, s'il existe, est toujours unique puisqu'avoir deux neutres $e$ et $e'$ implique $e = e \star e' = e'$. Voici quelques exemples pour se faire une meilleure intuition de ces notions :
- Les opérations $+$ et $\times$ sur les nombres réels sont commutatives et associatives. Le neutre pour $+$ est $0$ et le neutre pour $\times$ est $1$.
- L'opération $-$ sur les nombres réels n'est pas commutative, ni associative, puisque $a-b \neq b-a$ en général, et $a-(b-c) \neq (a-b)-c$. Il n'y a pas non plus de neutre pour le $-$ : on pourrait croire que $0$ est neutre car $a-0 = a$ pour tout $a \in \mathbb R$, mais on a en général $0-a \neq a$.
Dans notre cas, $*$ est une opération sur l'ensemble des fonctions arithmétiques (au lieu de l'ensemble des nombres réels comme dans les exemples). Cela peut sembler plus complexe mais ça ne l'est pas vraiment : il faut juste comprendre que $*$ prend deux fonctions arithmétiques $f$ et $g$ et rend une autre fonction arithmétique notée $f*g$.
Proposition
L'opération $*$ définie sur l'ensemble des fonctions arithmétiques est associative et commutative, et possède le neutre $\delta$ défini comme suit :
$$\delta(n) = \begin{cases} \; 1 & \text{si $n=1$,} \\ \; 0 & \text{sinon.} \end{cases}$$
Démonstration
Le membre de droite de $(3)$ est clairement symétrique en $f$ et $g$. On peut donc permuter $f$ et $g$ dans le membre de gauche sans en changer la valeur : $f*g=g*f$ pour toutes fonctions arithmétiques $f$ et $g$. Autrement dit, $*$ est commutative.
Un bon exercice est de montrer que, pour toutes fonctions arithmétiques $f,g,h$ et tout $n \in \mathbb N_0$, on a
\[ (f*(g*h))(n) = \sum_{abc=n} f(a)\cdot g(b)\cdot h(c) \] où la somme est prise sur les triplets $(a,b,c)\in\mathbb N^3$ vérifiant $abc=n$. De nouveau, le membre de droite est symétrique en $f$, $g$ et $h$. On peut donc permuter $f$, $g$ et $h$ dans le membre de gauche et obtenir $f*(g*h)=h*(f*g)$. En utilisant la commutativité, on obtient alors
$$f*(g*h)=(f*g)*h$$ c'est-à-dire l'associativité de $*$.
Finalement, à partir de la définition de $\delta$ on calcule
$$(\delta*f)(n) = \sum_{d\mid n}\,\delta(d)\cdot f\left(\frac nd\right) = \delta(1)\cdot f(n) + \sum_{d\mid n \text{ et } d\ne 1} \delta(d)\cdot f\left(\frac nd\right) = 1\cdot f(n) +0 = f(n)$$ pour tout $f$, d'où $\delta*f=f$. Donc $\delta$ est le neutre de la convolution.
Convolution de fonctions multiplicatives
Jusqu'ici nous n'avons pas encore vu de rapport entre cette convolution et les fonctions multiplicatives, mais vous vous doutez qu'il doit y en avoir un ! Il s'avère en fait que, malgré la grosse somme peu intuitive dans sa définition, la convolution se comporte très bien avec les fonctions multiplicatives. En effet, nous avons la proposition suivante :
Théorème
Étant données $f$ et $g$ deux fonctions multiplicatives, leur convolution $f*g$ est également multiplicative.
Démonstration
Soient $f$ et $g$ deux fonctions multiplicatives, et $m$ et $n$ deux naturels premiers entre-eux. On a
$$(f*g)(mn) = \sum_{ab=mn} f(a)\cdot g(b).$$ Chaque nombre $a$ divisant $mn$ peut s'écrire de manière univoque comme $a = a_1 \cdot a_2$ avec $a_1 \mid m$ et $a_2 \mid n$, puisque $m$ et $n$ sont premiers entre eux. Bien sûr, réciproquement si $a_1$ est un nombre divisant $m$ et $a_2$ un nombre divisant $n$, alors $a = a_1 \cdot a_2$ divise $mn$. On peut dire de même à propos de $b$ qui peut s'écrire comme $b_1 \cdot b_2$ avec $b_1 \mid m$ et $b_2 \mid n$. Ces constatations impliquent que la somme ci-dessus peut être réécrite comme
$$(f*g)(mn) = \sum_{a_1b_1=m}\ \sum_{a_2b_2=n} f(a_1a_2)\cdot g(b_1b_2).$$ Puisque $f$ (respectivement $g$) est multiplicative et $a_1$ et $a_2$ (resp. $b_1$ et $b_2$) sont premiers entre-eux, ceci nous donne
$$\begin{eqnarray}
(f*g)(mn)
& = & \sum_{a_1b_1=m}\ \sum_{a_2b_2=n} f(a_1)f(a_2)\cdot g(b_1)g(b_2) \\
& = & \Big(\sum_{a_1b_1=m}f(a_1)\cdot g(b_1)\Big)\cdot\Big(\sum_{a_2b_2=n}f(a_2)\cdot g(b_2)\Big) \\
& = & (f*g)(m)\cdot (f*g)(n)
\end{eqnarray}$$ ce qui conclut la preuve.
Cette propriété peut sembler bien abstraite, mais elle permet en fait de voir que certaines fonctions a priori compliquées sont multiplicatives. Par exemple, on peut prendre pour $f$ la fonction $f \colon n \mapsto n^k$ (pour un $k$ fixé) et pour $g$ la fonction constamment égale à $1$. Ces deux fonctions sont clairement totalement multiplicatives. Et la convolution de ces deux fonctions est égale à
$$ f * g = \sum_{d\mid n} d^k =: \sigma_k(n),$$ la somme des puissances $k$-ième des diviseurs de $n$. Celle-ci est donc multiplicative. À noter que $\sigma_k(2) = 1+2^k$ et $\sigma_k(4) = 1+2^k+4^k \neq \sigma_k(2)^2$, donc $\sigma_k$ n'est pas totalement multiplicative. En particulier, la convolution de deux fonctions totalement multiplicatives n'est pas forcément totalement multiplicative.