Théorie > Équations fonctionnelles > Équation de Cauchy

Prérequis

Résumé

Dans ce chapitre, nous nous intéressons à l'équation particulière $f(x+y)=f(x)+f(y)$. Nous traitons, dans l'ordre, les cas où le domaine de $f$ est $\mathbb{N}$, $\mathbb{Z}$, $\mathbb{Q}$ et $\mathbb{R}$. Quel que soit le cas considéré, les fonctions $f(x)=ax$ où $a \in \mathbb{R}$ sont clairement des solutions, et nous montrons que ce sont les seules si le domaine est $\mathbb{N}$, $\mathbb{Z}$ ou $\mathbb{Q}$. Avec des hypothèses supplémentaires sur $f$, ce sera en fait aussi le cas si le domaine est $\mathbb{R}$. Les méthodes que nous utilisons pour résoudre cette équation sont en fait assez générales et peuvent dès lors s'appliquer à d'autres équations.

Ce chapitre a été écrit par P.-A. Jacqmin et mis en ligne le 8 décembre 2014.

1. Sur les naturels

Comme annoncé dans l'introduction, si le domaine de définition de $f$ est $\mathbb{N}$, nous avons une description complète des solutions de l'équation de Cauchy.

Proposition
Si $f: \mathbb{N} \rightarrow \mathbb{R}$ satisfait l'équation de Cauchy
$$f(x+y)=f(x)+f(y)$$ pour tous $x,y \in \mathbb{N}$, alors il existe $a \in \mathbb{R}$ tel que $f(x)=ax$ pour tout $x \in \mathbb{N}$.

Démonstration
Il suffit de prouver que $f(x)=f(1) \cdot x$ pour tout $x \in \mathbb{N}$ (et $a$ sera alors donné par $f(1)$). Faisons-le par récurrence :

  • Cas de base : pour $x=0$ : En remplaçant $x$ et $y$ par $0$ dans l'équation, nous obtenons $f(0)=f(0)+f(0)$ et donc $f(0)=0$.

  • Pas récurrent : Supposons que $f(x)=f(1)\cdot x$ pour un certain $x \in \mathbb{N}$ et prouvons que $f(x+1)=f(1)\cdot (x+1)$. Il suffit de calculer
    $$f(x+1)=f(x)+f(1)=f(1)\cdot x+f(1)=f(1)\cdot (x+1).$$

Remarquons que, dans la preuve précédente, le domaine d'arrivée ne joue pas un grand rôle. Par exemple, si $f: \mathbb{N} \rightarrow \mathbb{N}$ satisfait l'équation de Cauchy, alors la même preuve nous dit que $f(x)=ax$ pour un certain $a \in \mathbb{N}$.

2. Sur les entiers

Si le domaine de définition de $f$ est $\mathbb{Z}$, nous avons la même description des solutions.

Proposition
Si $f: \mathbb{Z} \rightarrow \mathbb{R}$ satisfait l'équation de Cauchy
$$f(x+y)=f(x)+f(y)$$ pour tous $x,y \in \mathbb{Z}$,alors il existe $a \in \mathbb{R}$ tel que $f(x)=ax$ pour tout $x \in \mathbb{Z}$.

Démonstration
Il suffit de prouver que $f(x)=f(1)\cdot x$ pour tout $x \in \mathbb{Z}$. Par la preuve précédente, on a déjà $f(x)=f(1)\cdot x$ pour tout $x \in \mathbb{N}$. Il reste donc à prouver que $f(-x)=-f(x)$ pour tout $x \in \mathbb{Z}$ (en effet, dans ce cas, $f(x)=-f(-x)=-f(1)\cdot (-x)=f(1)\cdot x$ pour tout $x \in \mathbb{Z}^-$).
Pour ce faire, remplaçons $y$ par $-x$ dans l'équation. Nous obtenons alors
$$0=f(0)=f(x-x)=f(x)+f(-x)$$ comme voulu.

De même que pour le cas précédent, si $f: \mathbb{Z} \rightarrow \mathbb{Z}$ satisfait l'équation de Cauchy, nous pouvons dire que $f(x)=ax$ pour un certain $a \in \mathbb{Z}$.

3. Sur les rationnels

Une nouvelle fois, si le domaine de définition de $f$ est $\mathbb{Q}$, nous avons la même description des solutions.

Proposition
Si $f : \mathbb{Q} \rightarrow \mathbb{R}$ satisfait l'équation de Cauchy
$$f(x+y)=f(x)+f(y)$$ pour tous $x,y \in \mathbb{Q}$, alors il existe $a \in \mathbb{R}$ tel que $f(x)=ax$ pour tout $x \in \mathbb{Q}$.

Démonstration
Il suffit encore une fois de prouver que $f(x)=f(1)\cdot x$ pour tout $x \in \mathbb{Q}$. Par la preuve précédente, on a déjà $f(x)=f(1)\cdot x$ pour tout $x \in \mathbb{Z}$.
Prouvons maintenant par récurrence sur $n$ que $f(nx)=nf(x)$ pour tout $n \in \mathbb{N}$ et pour tout $x \in \mathbb{Q}$ :

  • Cas de base : nous savons déjà que $f(0\cdot x)=0$ quel que soit $x \in \mathbb{Q}$.

  • Pas récurrent : Supposons que $f(nx)=nf(x)$ pour tout $x \in \mathbb{Q}$ et pour un certain $n \in \mathbb{N}$ et prouvons que $f((n+1)x)=(n+1)f(x)$ pour tout $x \in \mathbb{Q}$. Pour ce faire, il suffit de calculer
    $$f((n+1)x)=f(nx+x)=f(nx)+f(x)=nf(x)+f(x)=(n+1)f(x).$$
Nous pouvons maintenant prouver que $f(x)=f(1)\cdot x$ pour tout $x \in \mathbb{Q}$. En effet, soit $x \in \mathbb{Q}$. Par définition de $\mathbb{Q}$, $x$ peut s'écrire comme $\displaystyle x=\frac{z}{n}$ pour un $z \in \mathbb{Z}$ et un $n \in \mathbb{N}_0$. Dès lors,
$$f(1)\cdot z=f(z)=f\left(\frac{z}{n}n\right)=nf\left(\frac{z}{n}\right)=nf(x),$$ et on a $\displaystyle f(x)=f(1)\cdot \frac{z}{n}=f(1)\cdot x$ comme espéré.

À nouveau, si $f : \mathbb{Q} \rightarrow \mathbb{Q}$ satisfait l'équation de Cauchy, nous pouvons aussi dire que $f(x)=ax$ pour un certain $a \in \mathbb{Q}$.

4. Sur les réels

En général

Dans le cas où $f: \mathbb{R} \rightarrow \mathbb{R}$, il existe d'autres solutions que $f(x)=ax$ avec $a \in \mathbb R$. Malheureusement, elles sont tellement compliquées qu'on ne peut ni les décrire ni en donner un exemple dans le cadre de ce cours. Cependant, certains résultats existent.

Proposition
Soit $f: \mathbb{R} \rightarrow \mathbb{R}$ une fonction qui satisfait l'équation de Cauchy
$$f(x+y)=f(x)+f(y)$$ pour tous $x,y \in \mathbb{R}$. Alors $f(qx)=qf(x)$ pour tout $x \in \mathbb{R}$ et pour tout $q \in \mathbb{Q}$.

Démonstration
La preuve est très similaire à la succession des trois preuves précédentes. Nous la donnons tout de même en détails.

  1. Par récurrence, on montre que $f(nx)=nf(x)$ pour tout $x \in \mathbb{R}$ et pour tout $n \in \mathbb{N}$.

    • Cas de base : $f(0)=f(0+0)=f(0)+f(0)$, donc $f(0)=0$.

    • Pas récurrent : On suppose que $f(nx)=nf(x)$ pour tout $x \in \mathbb{R}$ et pour un certain $n \in \mathbb{N}$ et on prouve que $f((n+1)x)=(n+1)f(x)$ :
      $$f((n+1)x)=f(nx+x)=f(nx)+f(x)=nf(x)+f(x)=(n+1)f(x).$$

  2. On sait que $0=f(0)=f(x-x)=f(x)+f(-x)$ pour tout $x \in \mathbb{R}$. Dès lors, si $z \in \mathbb{Z}^-$,
    $$f(zx)=-f(-zx)=-(-z)f(x)=zf(x).$$ Nous venons donc de prouver que $f(zx)=zf(x)$ pour tout $x \in \mathbb{R}$ et pour tout $z \in \mathbb{Z}$.

  3. Si $q \in \mathbb{Q}$, nous pouvons l'écrire comme $\displaystyle q=\frac{z}{n}$ où $z \in \mathbb{Z}$ et $n \in \mathbb{N}_0$. Donc
    $$nqf(x)=zf(x)=f(zx)=f\left(\frac{z}{n}nx\right)=f(qnx)=nf(qx).$$ Nous pouvons en conclure que $f(qx)=qf(x)$ pour tout $x \in \mathbb{R}$ et pour tout $q \in \mathbb{Q}$.

Sous certaines conditions

Dans le cas où la fonction est continue, il est possible de conclure comme précédemment (nous ne le prouvons pas).

Proposition
Si $f: \mathbb{R} \rightarrow \mathbb{R}$ est une fonction continue qui satisfait l'équation de Cauchy
$$f(x+y)=f(x)+f(y)$$ pour tous $x,y \in \mathbb{R}$, alors il existe $a \in \mathbb{R}$ tel que $f(x)=ax$ pour tout $x \in \mathbb{R}$.

Il est cependant généralement assez difficile de prouver que $f$ est continue à partir d'une équation fonctionnelle. Cette proposition est donc intéressante principalement si on nous dit dans l'énoncé que $f$ est continue.

Il existe d'autres cas où il est possible de conclure. Nous avons d'abord besoin de rappeler certaines définitions.

Définitions
Soit $f: \mathbb{R} \rightarrow \mathbb{R}$ une fonction.
  1. On dit que $f$ est croissante si pour tous $x,y \in \mathbb{R}$ tels que $x \leq y$, on a $f(x) \leq f(y)$.
  2. On dit que $f$ est décroissante si pour tous $x,y \in \mathbb{R}$ tels que $x \leq y$, on a $f(x) \geq f(y)$.
  3. On dit que $f$ est monotone si elle croissante ou décroissante.
  4. On dit que $f$ est strictement croissante si pour tous $x,y \in \mathbb{R}$ tels que $x < y$, on a $f(x) < f(y)$.
  5. On dit que $f$ est strictement décroissante si pour tous $x,y \in \mathbb{R}$ tels que $x < y$, on a $f(x) > f(y)$.
  6. On dit que $f$ est strictement monotone si elle strictement croissante ou strictement décroissante.

Proposition
Si $f: \mathbb{R} \rightarrow \mathbb{R}$ est une fonction monotone qui satisfait l'équation de Cauchy
$$f(x+y)=f(x)+f(y)$$ pour tous $x,y \in \mathbb{R}$, alors il existe $a \in \mathbb{R}$ tel que $f(x)=ax$ pour tout $x \in \mathbb{R}$.

5. En pratique

L'équation de Cauchy est intéressante d'un point de vue théorique, mais les raisonnements que nous avons utilisés dans ce chapitre peuvent en fait être utilisés pour résoudre d'autres équations fonctionnelles.

En effet, lorsqu'on est en présence d'une équation avec $f : \mathbb{R} \to \mathbb{R}$, il arrive parfois que l'on parvienne à trouver la valeur de $f(2)$ en fonction de $f(1)$, puis la valeur de $f(3)$ en fonction de $f(1)$, etc. Il est alors souvent possible d'en déduire par récurrence la valeur de $f(n)$ en fonction de $f(1)$ pour tout $n \in \mathbb{N}$, comme nous l'avons fait pour l'équation de Cauchy. Dans un tel contexte, il peut donc être une bonne idée d'appliquer le même raisonnement que celui que nous avons donné pour résoudre l'équation de Cauchy. L'étape suivante est donc d'essayer de montrer que $f(-x) = -f(x)$ pour tout $x$, ce qui permet de trouver la valeur de $f(z)$ pour $z \in \mathbb{Z}$. On peut ensuite chercher à montrer que $f(nx) = n f(x)$ pour tout $n \in \mathbb{N}$ et tout $x$, ce qui pourrait nous donner $f(q)$ pour tout $q \in \mathbb{Q}$.

À ce stade, on a généralement le sentiment d'avoir résolu l'équation puisqu'on a trouvé la valeur de $f$ en chaque nombre rationnel. Comme nous l'avons vu dans le cadre de l'équation de Cauchy, il n'est cependant pas aisé (voire même parfois impossible) d'en déduire que la formule trouvée pour les rationnels est également vraie pour les nombres réels. Pour pouvoir ainsi passer des rationnels aux réels, il faut comme pour l'équation de Cauchy que $f$ soit continue ou monotone. Nous ne donnons pas ici de théorème général permettant de passer de $\mathbb{Q}$ à $\mathbb{R}$, mais l'idée est que, si $f$ est continue ou monotone, alors toute formule "raisonnable" trouvée pour $f$ sur $\mathbb{Q}$ est également valable sur $\mathbb{R}$. En fait, la continuité et la monotonie empêchent $f$ de ne pas respecter la formule en un nombre réel. Cela vient du fait que $\mathbb{Q}$ est dense dans $\mathbb{R}$, ce qui signifie que tout élément de $\mathbb{R}$ peut être approché par une suite de nombres rationnels.

On peut donc pour conclure tenter de montrer que $f$ est continue ou monotone. À moins que la continuité ou la monotonie ne soit donnée dans l'énoncé, il est en pratique assez compliqué de le prouver à partir de l'équation fonctionnelle. Il vaut généralement mieux tenter de continuer à trouver de nouvelles relations intéressantes à partir de l'équation fonctionnelle, et de les combiner avec les résultats sur les nombres rationnels pour conclure. Cela n'est pas possible pour l'équation de Cauchy, mais les équations fonctionnelles d'olympiades sont en général bien plus "fournies", en ce sens que l'on a généralement pas encore utilisé toutes les informations données par l'équation lorsqu'on a trouvé les valeurs sur les nombres rationnels.

Si cela ne semble pas fonctionner et si on a de bonnes raisons de croire qu'il est possible de prouver la monotonie (par exemple en utilisant $f(x)^2 \geq 0$ ou si l'équation est en fait une inéquation) alors on peut tout de même essayer de la prouver. La continuité est quant à elle assez rarement démontrable.